Marée basse aux Îles

Marée basse aux Îles. Roman d’une auteure québécoise, Andrée-Anne G. Dufour, publié en 2024. Maison d’édition : Les Éditeurs réunis. Que j’ai acheté sur un coup de tête, comme d’habitude, parce que j’aimais le titre. Je fais pareil pour les bouteilles de vin. C’est l’histoire, comprends-tu, de Sammy Roberge, une fille de 26 ans, que deux malheurs accablent en même temps. D’abord, au moment même où elle devait partir avec son chum des trois dernières années visiter l’Europe, il la plaque et prend l’avion avec une autre. Ce qui ruine ses aspirations de bonheur personnelles. Ensuite elle apprend que sa candidature est refusée pour poursuivre ses études au doctorat en psychologie. Ce qui freine ses ambitions professionnelles. Décontenancée, traînant sa peine « dans les rues sales et transversales de Montréal », elle part passer l’été aux Îles-de-la-Madeleine où elle travaillera comme serveuse au casse-croûte de sa tante. En voici des extraits.

(Après sa rupture avec Étienne, son amoureux, dans l’avion qui la conduit aux Îles)
« Mes émotions varient en fonction du moment de la journée. Au lever, le matin, c’est plus de la colère. Le soir, quand je suis toute seule (…), c’est plus de la tristesse. Et le reste du temps, je me trouve conne. »

(Devant le courriel de refus de l’université)
« Ça m’arrive de retourner le lire, juste pour être certaine que j’ai bien lu, pour avoir l’absolue certitude que j’ai compris la teneur du message. »

(Arrivée à destination chez sa tante Madeleine)
« J’essaie de me mettre une face de party, mais le cœur n’y est pas trop. La blessure de la trahison d’Étienne est trop fraîche et le désespoir entourant ma candidature refusée au doctorat est trop criant. »

(Sa tante lui raconte sa rencontre avec Robin, son mari décédé, lors d’un match de hockey du Canadien de Montréal)
« J’aime votre accent. Çà vient d’où? La Gaspésie.
Non, je viens des îles-de-la-Madeleine.
C’est drôle, je m’appelle Madeleine. Y doit pas avoir beaucoup de Madeleine aux Îles.
Non, mais je verrais pas d’inconvénient à ce qu’il y en ait une. Je m’appelle Robin. »
« Je ne suis pas certaine que ça me donne le goût de retomber en amour, si c’est pour finir ma vie toute seule dans un casse-croûte perdu quelque part dans le golfe du Saint-Laurent et sentir la patate frite pour le restant de mes jours. »

(Comme le vent du large se lève, elle s’habille plus chaudement)
« Je réalise que j’ai revêtu le chandail d’Étienne, celui que je mettais au départ parce qu’il sentait comme lui, mais que ma mère a fini par laver après quelque temps à force de me voir le porter de façon quotidienne, et qui ne sent plus que le Tide et mon shampoing. »

(Très tôt le matin, elle entend un grondement au loin)
« À moitié endormie, j’ai pensé qu’il s’agissait d’une déneigeuse et je me suis demandé si j’avais mis ma voiture du bon côté de la rue. (…) En regardant par la fenêtre, j’ai vu les lumières des petits bateaux de pêche s’éloigner vers le large. »
« Quelqu’un sur l’archipel pourra sûrement m’expliquer (…) pourquoi il est nécessaire de se lever si tôt pour la pêche (…) Les homards ne dorment-ils jamais la nuit? »

(Première rencontre avec Thomas, 31 ans, le cuisinier ténébreux du casse-croûte de sa tante à Pointe-aux-Loups)
« Quelques secondes où Étienne quitte mon esprit pour laisser une toute petite place à quelqu’un d’autre, mais suffisantes pour me rappeler que j’ai maintenant le droit de laisser mon esprit errer lorsque je rencontre quelqu’un. »

(Considérations sur sa nouvelle vie)
« Je me rends compte que je pensais savoir exactement qui j’étais, mais qu’en fait, je n’en ai aucune idée. J’étais la fille qui réussit bien dans ses cours, la blonde d’Étienne. Et maintenant, je ne suis plus ni l’une ni l’autre. Pour l’instant, je me contente d’être Sammy à Mado, serveuse dans un casse-croûte. »

(Des nouvelles de son ex)
« Sa nouvelle blonde aime publier plein d’affaires et le taguer dans ses publications (sur Facebook). Accéder à ces photos, c’est un peu comme jeter du vinaigre sur une plaie en train de cicatriser. Ça fait mal. »

(Après trois semaines aux Îles, Sammy trouve qu’elle se porte mieux)
« Je guéris peu à peu de tous les rejets que j’ai vécus dans les dernières semaines et j’essaie de me donner du temps pour exister en dehors de ma relation ou de mes études. »

(Cadeau de sa tante)
« Elle me traîne ensuite par le bras vers l’extérieur du resto où je rencontre ma nouvelle monture : une vieille Hyundai Elantra 2006 bourgogne et rouille. »

(Sortie dans une brasserie avec Thomas qu’elle apprivoise peu à peu)
« J’ai l’impression d’être dans la version madelinienne de Mange, prie, aime, où mon histoire de croissance personnelle commencerait par des guédilles au homard. »

(Arrivée de deux drag-queens, Juliette Jupiter dite La Jupette et Maria Barbecue, qui offriront un spectacle aux Madelinots au casse-croûte de Mado)
« Je peux pas croire qu’on vous rencontre enfin! dit Maria, alors qu’elle a appris l’existence de ma tante il y a quelques heures à peine. »

(Sortie avec Henri, un touriste qui la drague).
« Henri a pensé à tout : il sort du coffre de la vieille voiture une couverture qu’il met sur mes épaules. Il en place une autre par terre où il m’invite à m’asseoir. Il a aussi acheté une caisse de bière, des chips et des bonbons pour la soirée. »
« Ce sac de chips au ketchup est donc une nouveauté pour moi. »
« Lorsque ses lèvres touchent les miennes, je ne sais pas trop ce que je ressens. Mon esprit s’égare et j’imagine Thomas à sa place. »

(Sammy délaisse Henri et consommera plutôt l’acte de chair avec Thomas; Maria Barbecue se rend compte tout de suite que Sammy a changé, pour le mieux)
« Je dois avouer qu’elle possède un don pour analyser les gens. J’ai l’impression d’avoir été scannée par un genre de détective du sexe. La Sherlock Holmes de la sexualité. »

(Sammy avec Hélène, la mère très malade de Thomas)
« Elle (Hélène) place une main sur mon épaule. C’est comme si elle me consolait, moi, alors que c’est elle qui est mourante. Est-ce normal que ce soient les gens qui partent qui consolent ceux qui restent? »

(Réponse de la femme d’Yvan, un touriste qui trouve que peu de voitures circulent sur l’île d’Entrée)
« C’est ben certain (…) ça doit être assez compliqué d’apporter son char sur une île pas de pont. »

(Thomas en conversation avec sa mère alors qu’il lui reste peu de temps à vivre)
« Ma mère a insisté pour que je vienne travailler. Elle n’avait pas envie que je reste avec elle et que je la regarde avec des yeux tristes. Elle m’a demandé d’aller nourrir le monde. »

(Déclaration d’amour de Thomas à Sammy)
« Tu sais, Sammy, tu es comme un pied-de-vent dans la tempête pour moi.
Un quoi?
Un pied-de-vent. On dit ça ici, tu sais quand un rayon de soleil perce les nuages pendant une averse ou une journée nuageuse, une douche de soleil.
Je lève la tête pour l’embrasser. Je n’avais pas de mots pour décrire notre relation, mais c’est exactement ce que je ressens pour lui, moi aussi. Un pied-de-vent comme une accalmie. »

(Hélène insistant pour préparer à déjeuner à Thomas et Sammy)
« C’est un geste anodin que faire le déjeuner pour quelqu’un, mais réaliser que tu ne pourras plus le faire bientôt doit faire partie des petits deuils à vivre quand on sait que la fin de notre vie approche. »

(Les drag-queens se mettent belles avant leur spectacle)
« On n’avait pas le choix d’être sur notre trente et un, ajoute Maria.
Trente-six pour moi, conclut la Jupette en saisissant ses faux seins à pleines mains. »

(Spectacle qui deviendra un documentaire puisque Mado fermera son casse-croûte à la fin de l’été et prendra sa retraite. Mais plus encore, Sammy aura retrouvé de la couleur et le bonheur)
« Je suis arrivée ici avec le cœur et les idées à marée basse. (…) Jamais je n’aurais cru que ces quelques mois auraient cet impact sur moi. Les gens que j’ai croisés ici m’auront marquée à jamais. J’ai changé, J’ai redécouvert qui j’étais. J’ai trouvé Thomas. »

(Épilogue. Trois ans plus tard, Sammy a lâché la psycho pour se lancer dans l’organisation événementielle, avec l’appui des drag-queens Maria Barbecue et Juliette Jupiter. Ses affaires vont bien. Thomas a ouvert un restaurant de fruits de mer à Montréal qu’il a appelé Chez Hélène en l’honneur de sa mère décédée. La projection du documentaire, pris aux Îles, a lieu lors de son inauguration où sont présents la parenté et les amis)
« Ce documentaire est dédié à la mémoire d’Hélène Lapierre, fière Madelinienne.
Es-tu correct Thomas? Je suis là si tu as besoin.
Il sourit en essuyant une larme au passage.
Je sais. Comme un pied-de-vent dans la tempête. »

Histoire qui finit bien comme je les aime. Preuve qu’après la tempête vient le beau temps. Quand des personnages, certes malheureux, mais inspirants et résilients, retrouvent l’amour et leur sérénité. En un endroit où je ne suis jamais allé mais que des visiteurs comme ma sœur décrivent comme enchanteur. Avec une devise madelinienne qui me sied bien, surtout depuis que je suis à la retraite : « Aux Îles, on n’a pas l’heure, on a le temps. »